Il y avait du monde autour de moi.
Une maison pleine à craquer : sept personnes, cinq enfants, deux parents.
Des cris, de l’amour, des disputes, des rires, des portes qui claquent… la vie, quoi.
Dans ma tête, c’était le désert.
Un monde vide. Silencieux. Dépeuplé.
Enfant du milieu, je n’étais pas assez grande pour suivre les grands,
pas assez petite pour jouer avec les petits.
J‘étais entre deux.
La bizarre.
La trop sérieuse.
La trop douée.
Mes frères et sœurs, prenaient cher. Trois, quatre brossées par jour minimum.
Moi ? J’étais celle qu’on n’engueulait jamais.
Celle qui faisait tout comme il faut.
Celle qui ne faisait aucune vagues.
Et donc, forcément… celle qu’on oublie.
Jalousée, parce que « Janine, elle peut faire ce qu’elle veut, on l’engueule jamais. »
Mais on ne peut pas engueuler quelqu’un qui n’existe pas.
On ne peut pas gronder celle qui ne dérange jamais.
Invisible.
Silencieuse.
Une enfant « parfaite ».
Et puis un matin. Pourquoi celui-là ?
Je n’ai jamais trouvé la réponse.
Je me suis levée comme d’habitude pour aller à l’école.
Mais un mode de pilotage automatique s’était activé.
Juste avant de partir, j’ai dit à ma mère :
« Ah, attends ! J’ai oublié mon ventolin, je vais vite le chercher. »
Mais à la place de mon inhalateur,
C’est deux boîtes d’Irfen 500 que j’ai glissées dans mon sac.
Je ne sais encore aujourd’hui pas, pourquoi j’ai eu ce geste.
Mais je sais que je n’avais qu’une seule idée en tête :
M’isoler et tout avaler.
Je n’avais que 13 ans.
Tout me paraissait si lourd. Insurmontable.
Le bus nous déposent.
Je fonce aux toilettes les plus proches.
J’ouvre une boîte.
Je prends pilule après pilule.
Le goût est ignoble.
Je n’ai pas pu prendre la deuxième boîte, tellement c’est écœurant.
Mais j’espérais que c’était suffisant.
Je retourne en classe, comme si de rien n’était.
Je me réveille en plein cours de religion, vers 11h30.
Tout le monde rigole, visiblement, je ronflais.
J’étais sûre de ne pas finir la journée, alors leurs rires…
La pause de midi sonne.
Je suis toujours là.
Je fonce prendre la deuxième boîte.
13h30, cours de maths.
Je ne suis pas bien. Mais vraiment pas bien.
Je demande à sortir du cours.
Le prof me regarde, méfiant. Il croit que j’essaie d’échapper au cours.
Il vérifie mes devoirs. Je les avais faits (merci le destin).
Il me laisse partir.
Je vais au secrétariat. Et leur demande… un Dafalgan.
Oui. Un antidouleur.
J’avais avalé deux boîtes d’Ibuprofène et je voulais prendre un médoc pour « le mal de tête ».
Je ne réalisais pas vraiment. Je n’étais pas vraiment là.
La secrétaire, voyant mon état, me laisse m’allonger sur le canapé de la salle de musique.
Les hallucinations commencent.
Je vois des bus scolaires jaunes passer dans la salle de classe,
sur une plage pleine de chaises.
Tout devient flou, irréel.
Quelqu’un finit par capter que quelque chose cloche.
La directrice arrive.
Elle me voit et comprend.
Elle appelle une prof, anciennement infirmière
qui me regarde droit dans les yeux, et dit :
« Janine, tu as pris quoi ? Dis-moi ce que tu as pris, qu’on puisse t’aider. »
Je réponds : « 2 boîtes d’Irfen 500. »
Dans ma tête, c’est clair,
J’essaie de parler.
Mais ma bouche… ne suit pas.
Je hurlais : « Deux boîtes d’Irfen 500 !!! »
Mais il n’y avait plus que des sons.
« Blu. Gdug. Hnoud. »
Je n’arrive plus à articuler.
J’étais consciente. Lucide. Mais piégée dans mon corps.
Impossible de bouger, de parler.
Mon corps était désactivé.
Puis : blackout.
Il fallait aller d’urgence à l’hôpital.
Des bribes de souvenirs sont resté.
Ils m’ont mise sur une chaise à roulette.
Le bruit lointain qui résonnait :
*ploc, ploc, ploc*, des roues qui tapent sur les joints du sol.
La directrice disait :
« Attention à sa tête. »
Dans la voiture, la prof me suppliait :
« Respire Janine. Respire ! Reste avec nous. Je t’en supplie, respire. »
Blackout.
Je me réveille à l’hôpital.
Mes parents sont là.
Ma mère pleure. Le médecin parle. Je ne capte rien.
Ma mère s’approche :
« T’inquiète pas Janine. Tout va bien. On va pas t’engueuler. Tout va s’arranger. Tu peux dormir tranquille. »
Re-blackout.
Je me réveille, l’ambulancier me rassure :
« On vous transfère au CHUV. Vous pouvez vous rendormir. »
Puis quelques heures/jours ? plus tard.
Je reprends mes esprit.
Je ne comprends rien.
Je suis dans un lit d’hôpital.
Je ne sais pas où je suis, ni ce qui s’est passé.
Je suis dans le flou complet.
Un médecin me voit, me regarde avec de gros yeux et me dit :
« Eh bah putain ! Vous avez une sacrée bonne étoile vous ! »
Je le regarde paumée. Puis il rétorque :
« On n’arrive pas à expliquer comment vous êtes encore vivante.
Vous avez pris une dose qui aurait pu tuer deux chevaux. »
J’ai compris :
Tant que ton heure n’est pas venue, elle n’est pas venue.
Peu importe ce que tu fais. Tu ne peux ni la forcer… ni l’éviter.
S’en est suivi des tonnes :
De tests. De psys. De vérifications.
Ma mère a dû prouver qu’il n’y avait pas de maltraitance.
Et puis, le jour de ma sortie.
Les portes de l’hôpital s’ouvrent.
Je respire l’air libre.
Je vois les feuilles des arbres bouger avec le vent.
Et je me dis :
« Putain Janine, t’as failli quitter tout ça délibérement ? »
Je me suis promise de ne plus jamais y retourner.
Mais le chemin vers la lumière était encore long !
Ma remontée…
ce sera pour un prochain épisode.
